Emotions: source de compétences comportementales en entreprise

par | 29 Avr 2022

Depuis presque dix ans, nous avons entamé des recherches autour des émotions et de l’intelligence émotionnelle. Comme beaucoup, nous faisons le constat que les émotions sont un carrefour entre nos dimensions corporelles, physiologiques et mentales. L’interprétation personnelle d’un évènement extérieur, plus ou moins imaginaire, entraine des modifications cognitives, physiologiques, comportementales et du discours interne. Nous nous sommes aperçus qu’il était finalement assez aisé de se mettre d’accord sur une définition des émotions, et de comprendre leur fonctionnement en acquérant un minimum de vocabulaire et de connaissances physiologiques. Nous avons alors créé le mouvement des porteurs d’émotions, EmontionsHandler (emotionshandler.fr).

Les salariés sont des humains

Mais, très vite, notamment à travers les expériences de nos missions de coaching et de formation en entreprise, nous avons compris que le système émotionnel d’un individu ne pouvait pas se résumer seulement à une interaction entre des hormones, des neurotransmetteurs, une interprétation plus ou moins biaisée de notre environnement et un logiciel forgé dans les temps préhistoriques.

En adoptant un prisme plus sociologique, nous avons constaté que la mise en œuvre et les conséquences des émotions n’avaient rien de « naturelles », qu’elles n’étaient pas « évidentes », encore moins simplement « individuelles ». Elles sont aussi le résultat d’une construction sociale. Elles résonnent en fonction des groupes sociaux auxquels nous appartenons. Cela signifie que, si l’élément déclencheur de l’émotion est en partie le résultat d’une construction personnelle alimentée par notre propre vision du monde, nos états physique et psychique, il trouve aussi sa source dans nos fonctions, nos missions et nos tâches en entreprise.

Ne soyons pas dupes du discours qu’il a été de bon ton de tenir durant des décennies dans les organisations. On nous recommandait de faire la différence entre notre vie personnelle et notre vie professionnelle, et donc de laisser les émotions à la maison. Comme si le salarié ou le dirigeant se devait de mettre ses émotions sur « off » pour pouvoir les remettre sur « on » le soir en rentrant chez lui.

Nous savons désormais que la dimension émotionnelle n’a pas de frontière, elle se fiche de la différence entre « maison » et « bureau ». Notre cadre professionnel contribue à alimenter les émotions et sentiments que nous ramenons à la maison. Et vice versa. Notre place dans l’entreprise, nos métiers, notre position dans la chaîne depuis la conception jusqu’à la commercialisation ont eux-mêmes des conséquences sur les émotions qui nous traversent.

Pas d’émotions chez nous, ah non !

C’est à partir de cet état de faits, que nous avons voulu aller plus loin, et identifier si nos métiers et nos formations pouvaient décider de nos profils émotionnels.

Ensemble, François et Jean-Christophe, nous rions souvent de nos biais liés à nos cursus scolaires et professionnels. François l’ingénieur structuré, forcément sérieux, forcément dans l’anticipation, la peur d’oublier un détail, le souci d’anticiper sur tout, agacé par l’insouciance du commercial qui n’anticipe rien et complexifie la production en acceptant toutes les doléances du client.

Jean-Christophe le commercial, forcément rebelle, ennemi juré de l’ingénieur empêcheur de tourner en rond, forcément dans l’euphorie débordante de la signature du contrat, insouciant devant les risques liés à la production à venir, aveuglé par le plaisir du moment présent, agacé par l’ingénieur qui met des freins à tout.

Nous avons donc choisi de nous questionner sur la place des émotions dans le travail. Certaines sont valorisées, directement ou indirectement par la condamnation de leur expression : par exemple, la noble colère du manager versus les larmes de la personne trop sensible. D’autres sont mises de côté : les larmes, la verbalisation de la peur.

Pourquoi cette « valorisation » ou cette « dévalorisation » ? La manière de gérer nos émotions peut-elle nous conduire à occuper certains métiers plutôt que d’autres ? Dans le cadre professionnel peut-on travailler sur nos émotions ? Pourquoi ce travail est-il encore aujourd’hui trop souvent « inavouable » ou tabou ? Existe-t-il vraiment des stéréotypes émotionnels liés à notre parcours universitaire et professionnel ? Un métier, des missions, une tâche peuvent-il déclencher, favoriser, impacter nos émotions et nos sentiments ? Enfin, un évènement comme la crise sanitaire, avec son avatar du travail à distance, a-t-il ou aura-t-il des conséquences sur la gestion des émotions en entreprise ?

Les émotions sont-elles devenues politiquement correctes en entreprise ?

Les stéréotypes ont la vie dure. Dans un contexte professionnel, il était plus aisé d’être une femme pour pleurer et un homme pour exprimer de la colère.

Ces dernières années, une révolution silencieuse est en marche.  Elle s’illustre notamment dans les catalogues de formation où les « soft-skills » ont désormais la part belle. L’intelligence émotionnelle a trouvé sa place entre l’intelligence mathématiques et l’intelligence relationnelle. Le coaching n’est pas en reste et intègre de plus en plus les émotions comme une expression avancée dans la communication et la gestion des relations.

De grandes entreprises proposent des référentiels de compétences comportementales qui intègrent la compréhension et la gestion des émotions : féliciter et valoriser, donner envie, être solidaire, gérer les situations conflictuelles, être disposé à recevoir de l’aide, faire preuve d’empathie, formuler une critique de manière bienveillante etc…

Les émotions deviennent petit à petit nos amies, voire nos alliées, et se positionnent désormais en composantes incontournables de la gestion de conflits, du management, de la relation interpersonnelle et de la boussole intérieure.

Des émotions acceptables… ou pas, en fonction de la place occupée en entreprise ?

Pour autant, nous confondons encore beaucoup les émotions et leurs expressions : la colère est parfois mal vue, parce que synonyme d’agressivité et de management à la grand-papa, et les pleurs ne passent pas encore très bien. En tout cas, ils mettent souvent mal à l’aise les autres.

Souvenez-vous des commentaires des médias et de la classe politique masculine lorsque Ségolène Royal avait « osé » laisser couler quelques larmes face aux caméras. Pouvez-vous imaginer votre manager ou votre directeur général pleurer sans le juger ?

Est-il normal qu’un cadre ou un employé encaisse la pression sans broncher ? Pas trop, n’est ce pas… et pourtant, une saine colère, parfois…

Et puis, suivant les milieux, il y a des émotions interdites, taboues, et d’autres fortement recommandées.

En réalité, les émotions gênent avant tout celles et ceux qui les reçoivent, l’entourage.

Parfois, en séances de coaching ou en formations nous entendons des personnes en pleurs nous dire « excusez-moi ». Mais de quoi ?

Notre milieu familial en premier, puis social, nous a imposé de ne pas exprimer certains sentiments, et d’en favoriser d’autres.

Des émotions indispensables pour avancer en entreprise

Les managers n’échappent pas à ce conditionnement. Pourtant, la prise en compte des émotions accélère les processus en entreprise, permet d’aller plus loin.

Il est une évidence pour celles et ceux qui accompagnent les autres (thérapeutes, coachs, …) : les émotions fortes perturbent la connexion à ses ressources et la prise de recul face aux situations à dépasser ou résoudre.

Il y a une exception toutefois : la joie permet d’apprendre plus facilement. Le jeu est un moteur puissant de pédagogie.

En tout cas, l’importance d’intégrer les émotions collectives est devenue une évidence aussi pour les managers qui ont dû gérer la reprise du travail en présentiel ou en mixte après les périodes de confinement.

L’impact de la crise sanitaire sur les émotions en entreprise

Ces confinements ont imposé un travail à distance et les outils numériques associés.

Finis les contacts physiques, amoindri le travail des neurones miroirs, et bonjour la fatigue liée à un usage de l’écran trop intensif.

Les personnes ont eu tendance à « donner le change » face à la caméra, masquant ainsi leur véritable état intérieur. Les managers ont dû redoubler de contacts afin de vérifier… bref, la relation à l’autre en a été altérée.

 

Conclusion

Ça y est, c’est acté, les émotions sont devenues importantes dans la vie de l’entreprise. Et dorénavant les entreprises de toutes tailles nous sollicitent sur ce sujet qui nous passionnent. Mais la conclusion est loin d’être définitive. On commence à peine à rédiger les premiers chapitres. Nous comptons sur vous pour nous aider à écrire la suite…

Discutons-en !!!

François Debly, Jean-Christophe Thibaud